6 April 2020 - Revue de presse

24 Heures : Pour cette clinique vaudoise, tout a changé _

Coronavirus : La Source a créé un secteur spécial de soins intensifs pour prendre en charge des patients infectés et décharger le CHUV

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Deux des quatre patients admis en ce moment aux soins intensifs de La Source, à Lausanne. Dix lits sont disponibles dans cette unité sécurisée créée spécialement pour les malades infectés et gravement atteints nécessitant une intubation. Ils sont transférés depuis le CHUV. 
Image: OLIVIER VOGELSANG

 

Ici, les professionnels des Soins intensifs sont protégés de pied en cap par des combinaisons blanches intégrales, façon cosmonautes. La totalité du personnel de la clinique lausannoise La Source est masquée pour enrayer la propagation. La clinique –qui accueille des patients au bénéfice d’assurances privées mais aussi de base– a opté pour des mesures de protection maximales. Vingt collaborateurs sont touchés sur 580; la direction précise qu’ils vont bien. 

Le premier patient Covid-19 est arrivé aux Soins intensifs le 20 mars. Ils sont aujourd’hui quatre, hospitalisés dans une unité créée spécialement pour le coronavirus il y a onze jours en vue de protéger le reste de l’établissement.

 

Malades très fragiles

Pénétrons dans ce secteur sensible, dûment équipés. L’ambiance est calme et appliquée. Point de frénésie lors de notre visite mais une attention de tous les instants pour ces malades. Celui-ci va bientôt pouvoir quitter les soins aigus. Cet autre, derrière la paroi, est en train d’être sevré du ventilateur. Un troisième, inconscient, peine à sortir de sa détresse respiratoire. Aucun décès n’est à déplorer pour l’instant.

Parmi les patients infectés par le SARS-CoV-2 ayant développé une pneumonie et nécessitant des soins intensifs, certains sont plus instables que d’autres. Des établissements privés vaudois comme La Source prennent en charge des cas moins lourds, histoire de libérer des lits et des forces au CHUV. Ils sont envoyés par l’hôpital universitaire dans le cadre d’une collaboration mise sur pied en bonne intelligence. Les «intensivistes» des deux bords se connaissent bien. «En période de crise, il n’y pas de séparation public-privé», relève le directeur général, Dimitri Djordjèvic.

Les cas hospitalisés ici restent très graves, précise la Dre Carlotta Bagna, responsable de l’unité. «Ce sont des patients difficiles, instables, fragiles. Difficile de prévoir comment la maladie évolue.» «Ça fait longtemps que je n’avais pas vu des patients intubés aussi fragiles, témoigne une infirmière. C’est très compliqué de les tourner, faire leur toilette, les masser…» Un médecin intensiviste dort désormais sur place.

L’unité spéciale coronavirus a été mise sur pied en quelques jours avec un impératif formulé par les médecins: séparer absolument les personnes touchées par le virus du reste de la population. «Je suis fière de ce qui a été fait ici», insiste la Dre Bagna. Accès condamnés, nouveaux vestiaires pour les soignants, porte donnant sur le parking pour les arrivées en ambulance, Soins intensifs «normaux» déplacés un étage plus bas… Il a fallu réorganiser tout le flux patients pour séparer les filières. Des membres de la Protection civile filtrent les entrées; des étudiantes en soins infirmiers prêtent main-forte aux équipes. Devant les urgences, une structure provisoire permet de tester les personnes présentant des symptômes.

 

«Qui sait si ce sera assez?»

La capacité des Soins intensifs de la clinique a presque triplé. Elle compte aujourd’hui 10 lits équipés de respirateurs dédiés à des patients Covid-19 * (dont 4 occupés en ce moment). «A priori, c’est assez mais qui sait?» commente la Dre Bagna. Les respirateurs en anesthésie ont été rapatriés dans l’unité spéciale. Pour l’heure, pas besoin de trouver des machines ailleurs.

Il n’en va pas de même de certains équipements de protection. Les stocks de masques ont été renfloués mais les fameuses combinaisons intégrales sont distribuées au compte-gouttes. «Nous évitons d’aller aux toilettes car nous devrions les jeter et en remettre une nouvelle à chaque fois», indique une infirmière. Une pénibilité accrue pour les soignants, déjà soumis à un stress constant.

 

À La Source comme dans tous les hôpitaux, certains soignants sont débordés alors que d’autres se retrouvent au chômage technique (lire l’encadré). La direction cherche le profil que tout le monde s’arrache en ce moment: l’infirmière spécialisée en soins intensifs. «On a fait une demande à l’État», indique le directeur général. Les infirmières en anesthésie ont été réaffectées au secteur Covid.

Outre le respirateur, La Source utilise le même arsenal thérapeutique que le CHUV et bon nombre d’hôpitaux suisses (lire ci-contre). Trois médicaments dont l’efficacité n’est pas encore prouvée mais qui présentent des signaux bénéfiques sont administrés: le Kaletra (antiviral utilisé contre le VIH), le Plaquenil (la fameuse hydroxychloroquine) et le Remdesivir (utilisé pour traiter Ebola). «Impossible, avec quatre patients seulement, de tirer des conclusions sur leur efficacité», indique la Dre Bagna. Elle attend, comme l’ensemble de la profession, les résultats des premières études scientifiques.

* Plus 4 lits de soins intensifs non-Covid-19.

 

 

Témoignages


«Mon fils de 3 ans me dit: «Maman, tu es malade?»

Dre Bagna 24H
Dre Carlotta Bagna, cheffe des Soins intensifs, La Source.
Image : Olivier Vogelsang

 

Mon premier sentiment a été de la peur en voyant ce qui se passait en Lombardie et ces hôpitaux à genoux (ndlr: la Dre Bagna est d’origine italienne). Je connais la qualité du système sanitaire là-bas. C’était d’autant plus inquiétant.

Puis l’angoisse s’est transformée en un sentiment de prise de conscience et surtout en volonté d’action pour défendre la communauté et les équipes. Le projet de l’Unité Covid a été mis en route à La Source.

Depuis l’arrivée du premier patient, je suis plus sereine. En famille aussi, c’est plus facile. Avant, je travaillais sur ce projet du matin au soir; j’étais assez absente. J’ai deux enfants en bas âge, mon mari fait du télétravail. Dès que j’ai vu que la maison roulait sans moi, j’ai pu me dédier à la mise en place d’un secteur Covid.

Mon fils de 3 ans me demande tous les matins: «Maman, tu es malade?» Ça me fend le cœur. Bien sûr, ma famille s’inquiète. Je les rassure en leur disant qu’attraper le coronavirus dans l’unité coronavirus, équipée comme je suis, est beaucoup moins probable que l’attraper à la Coop ou à la Migros. Et je dis à mon fils: «Ne t’inquiète pas, maman est forte, elle ne sera pas malade.»

C’est clair que je sacrifie passablement ma vie privée durant cette période mais, finalement, je ne fais rien d’autre que remplir ma mission de médecin et respecter le serment d’Hippocrate.

Il faut aussi dire que ces patients sont difficiles, médicalement et socialement parlant. Ils ne peuvent jamais être avec leurs proches. Cette situation est lourde à supporter pour eux mais aussi pour les équipes qui sont en contact étroit avec les familles et leurs souffrances. 


«On nous applaudit, mais notre job était aussi pénible avant»

Séverine Louis-Chioetto, infirmière aux Soins intensifs, La Source.Olivier Vogelsang
Séverine Louis-Chioetto, infirmière aux Soins intensifs, La Source.
Image : Olivier Vogelsang

 

Je travaille depuis vingt-quatre ans et je ne pensais pas vivre quelque chose comme ça. Je me sens en sécurité au travail; on a le matériel qu’il faut. Mais au niveau humain, c’est autre chose… Les patients qu’on reçoit arrivent intubés, on ne peut pas leur parler et on ne connaît rien d’eux. Les familles ne peuvent pas les voir.

J’arrive à 7 h à la clinique et je repars à 20 h. En termes de fatigue, je me prépare à des semaines difficiles. C’est intense mais les gens oublient que c’est notre quotidien. Quand j’entends applaudir, je me dis: c’est notre job et il était aussi pénible avant! Rappelons que l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» n’est pas passée (ndlr: elle visait à engager plus de personnel infirmier diplômé afin d’assurer des soins de qualité). Il ne faut pas que les infirmières passent pour des héroïnes juste parce qu’il y a le coronavirus.

Ce qui me stresse le plus, c’est le comportement des gens dehors. Ils sont trop nombreux, je trouve. C’est lourd pour moi de voir des personnes qui ne respectent pas les règles.

Je déteste aller au supermarché. Je suis plus à l’aise en travaillant qu’en faisant les courses. Beaucoup de jeunes n’ont pas réalisé que ce ne sont pas que leurs grands-parents qui peuvent être touchés.

Mon mari est dans les pompes funèbres; il travaille aussi beaucoup. On a de la chance: ma sœur s’occupe de ma fille de 6 ans. Je trouve ça très dur pour elle d’être confinée, de ne pas voir ses amis. Je me questionne beaucoup par rapport à l’avenir de ces enfants. Est-ce que l’épidémie va se répéter? Est-ce qu’ils vont devoir vivre avec? 

 

Marie Nicollier

Parution : 24 Heures, samedi 04.04.2020

 


 
Baisse d’activité
 

Locaux vides: le paradoxe 

Un parking presque vide, un calme inédit dans le hall… La Source enregistre une baisse d’activité des deux tiers. Un effet direct de l’ordonnance fédérale stipulant que tous les soins non urgents doivent être suspendus. La Société vaudoise de médecine insiste pourtant: être confiné ne veut pas dire renoncer à se soigner («24 heures» du 2 avril). Des cas de décompensations mènent déjà à des hospitalisations. Le directeur général de La Source, Dimitri Djordjèvic, se rallie aux craintes des médecins. 

Car en plus des prestations non urgentes dûment reportées par les professionnels sur ordre de l’OFSP, les gens rechignent à consulter leur médecin ou les spécialistes. «Si on attend trop longtemps, ça risque de faire des dégâts», note Dimitri Djordjèvic. Il observe «un sentiment de psychose. On a des patients qui ont appelé eux-mêmes leur chirurgien pour annuler leur opération. Des mamans qui pensent accoucher à la maison… Les gens ont peur de venir et d’attraper le virus alors ils restent chez eux, même s’ils ont besoin de soins.» Et de répéter que le secteur Covid est «entièrement séparé du reste de la clinique et sécurisé». Et que non, «le virus ne se balade pas dans les canalisations pour arriver dans les chambres». 

«L’ordonnance fédérale était d’une telle violence que tout le système s’est paralysé en prévision de la vague de Covid-19 qui allait déborder tout le monde, relève Dimitri Djordjèvic. Alors nous repoussons tout ce qui n’est pas urgentissime, mais jusqu’à quand? Et comment gérer l’afflux de ces patients après la crise? Cela me préoccupe beaucoup. On doit peut-être ouvrir un peu les vannes et assouplir ces mesures fédérales extrêmement restrictives, sinon on va le payer après. Il semble que la courbe est en train de se tasser. Si cela se confirme, il faudra absolument redonner confiance à la population pour qu’elle continue à consulter.» 

Et le manque à gagner pour la clinique? «Une bombe à retardement», soupire le directeur. «Nous avons une situation financière saine, donc s’il faut tenir encore un mois, on tiendra. Mais si ça devait durer… Nous ne voudrions pas être les oubliés des mesures de compensation. Nous sommes nous aussi en première ligne.» 

Baisse d’activité oblige, une partie du personnel de La Source se retrouvera au chômage partiel. Mais pas question de fermer boutique comme l’a fait par exemple la clinique CIC Riviera. «Il n’est pas envisageable que les urgences, la maternité ou l’oncologie cessent de fonctionner», insiste le directeur. 

«Bon côté» si l’on peut dire de la faible occupation des lieux: il est aisé d’isoler les patients infectés dans des chambres simples, qu’ils aient une assurance privée ou non.