3 April 2018 - Revue de presse

Le Temps : Les cantons protègent trop leurs hôpitaux_

Le Temps

 

 

 

Les cantons protègent trop leurs hôpitaux

Dans le débat sur les coûts, les médecins et les cliniques privées sont critiqués. Directeur général de la Clinique de La Source, à Lausanne, Dimitri Djordjèvic affirme que le libre choix de l'hôpital par les patients permettrait au contraire de faire des économies.

Le niveau des primes d’assurance maladie est devenu insupportable pour l’immense majorité des Suisses. Sur le diagnostic, le consensus semble parfait entre les acteurs du système de santé, mais les avis divergent sur les causes de la hausse des coûts. Le point de vue du directeur général de la Clinique de La Source, un établissement privé chapeauté par une fondation à but non lucratif.


Le Temps: Comme patron d’une clinique privée, comment pourriez-vous contribuer à faire baisser les coûts de la santé?

Dimitri Djordjèvic: Plus de 90% de nos activités hospitalières sont couvertes par les assurances privées ou semi-privées. Notre impact direct sur les primes de l’assurance de base est donc quasi nul. En revanche, si le canton de Vaud appliquait la loi fédérale, à savoir le respect du libre choix pour le patient dans tous les établissements suisses, nous aurions la possibilité de prendre plus de patients sans assurance privée et donc de faire baisser les coûts de la santé. Ce que je peux prouver noir sur blanc.

 

Quel est actuellement votre mandat de prestations avec le canton de Vaud?

Il se réduit à accueillir des patients en urgence et à offrir l’accès à notre robot chirurgical Da Vinci aux médecins du CHUV et aux patients sans assurance privée dans le cadre d’un accord avec le CHUV. Nous parlons là d’un quota de 500 cas par année.

 

Des chiffres?

Stefan Meierhans, Monsieur Prix, a fait une étude qui a malheureusement été éclipsée par la polémique sur les salaires des médecins. Elle démontre qu’on pourrait mieux contrôler les coûts de la santé si les patients pouvaient choisir librement les établissements dans lesquels ils sont traités. Un exemple: à La Source, une prothèse de genou coûte 18 500 francs pour un patient à l’assurance de base, contre 20 736 francs au CHUV, pour strictement la même intervention.

 

Comment l’expliquez-vous?

Le système tarifaire des prestations stationnaires SwissDRG approuvé par le canton est de 9500 francs pour La Source et de 10 650 francs au CHUV. Pour Monsieur Prix, le problème est que les cantons sont juges et parties. Les ministres de la Santé ont tendance à protéger leurs hôpitaux. Ils poussent à ce que la prise en charge et les soins se fassent dans les établissements dont ils sont propriétaires. Même si les tarifs pratiqués coûtent plus cher au canton et aux caisses. Donc quand certains politiques affirment que les coûts de la santé explosent à cause des cliniques privées, ils induisent le public en erreur. Dans tous les cantons où le libre choix est appliqué, les économies sont substantielles.

 

On vous rétorquera que les privés sélectionnent les patients et que les hôpitaux publics sont contraints de prendre en charge les cas les plus compliqués…

Ce n’est pas forcément vrai. A La Source, lorsque nous prenons des patients en charge dans notre centre d’urgences, nous ne procédons à aucune sélection. Plus généralement, il existe de grandes disparités en Suisse. Les cantons de Vaud, de Genève et du Tessin ont une vision étatiste de la médecine. Ils ne respectent pas le libre du choix du patient qui est pourtant inscrit dans la Constitution depuis la révision de la LAMal en 2012.

 

Les hôpitaux publics et universitaires ont aussi des missions de recherche et de formation…

Là encore, je vous donne des chiffres qui interrogent. Selon une étude menée par le Professeur Felder de l’Université de Bâle, les prestations d’intérêt général (PIG) diffèrent fortement de canton à canton. A Genève, c’est 947 francs par an et par habitant, dans le canton de Vaud c’est 595 francs. La moyenne nationale est à 214 francs. Est-on moins bien soigné à Zurich ou à Berne? Je ne pense pas. Un postulat a d’ailleurs été déposé au Grand Conseil vaudois pour demander une clarification sur l’utilisation des PIG versées au CHUV. Le contribuable a le droit de savoir où va son argent, quels sont les coûts réels de la santé et ceux de la recherche ou de la formation. On braque les projecteurs sur les cliniques privées, mais il y a assurément des économies à réaliser dans la gestion des hôpitaux publics, universitaires ou pas.

 

Et les caisses maladie, quels sont leurs intérêts?

Elles veulent payer le moins possible. En théorie, la LAMal ne leur permet pas de faire de bénéfice. Les primes ne doivent en principe que couvrir les coûts réels. Or plusieurs études montrent que les coûts de la santé ont moins augmenté ces dernières années que les primes. En deux mots comme en cent, on ne sait pas comment les caisses ventilent leurs réserves. Une vraie boîte noire. Un peu de transparence s’impose.

 

Pierre-Yves Maillard et Mauro Poggia proposent une caisse cantonale de compensation pour régler ce problème. Votre position?

Ce n’est pas le bon modèle. Une caisse cantonale de compensation ne ferait que rajouter une couche administrative, je doute que cela permette de contrôler les coûts.

 

Vous dites que la discussion sur les salaires des médecins éclipse les vraies questions. La Suisse se distingue toutefois des autres pays puisque 84% des médecins sont des spécialistes contre 70% en moyenne dans l’OCDE…

En préambule, je n’aimerais pas subir un système comme en Angleterre, où il faut attendre neuf à douze mois en moyenne pour être pris en charge, plusieurs années même parfois pour certaines opérations. Cela dit, il est vrai que l’offre a tendance à créer la demande. Il existe, comme dans tous les domaines, un petit nombre de médecins qui effectuent des interventions inutiles, on ne peut pas le nier. Mais ce n’est pas le facteur essentiel responsable de la hausse des coûts de la santé.

 

Quelles mesures préconisez-vous?

La raison d’être et la fonction de la LAMal doivent être de couvrir la maladie. Il est absurde par exemple que l’aromathérapie soit prise en charge. Il faudrait avoir le courage de réduire le catalogue des prestations et de ne garder que l’essentiel. Les autres prestations pourraient être couvertes par un système à options. De plus, ce qu’il y a de pervers dans le système actuel, c’est qu’une fois que le patient a atteint le montant de sa franchise, il a tendance à aller chez le médecin pour tout et n’importe quoi pour profiter au maximum des prestations offertes.

 

Et le financement des traitements?

Une prise en charge ambulatoire devrait être encouragée partout où c’est possible, de manière à diminuer la facture globale. Des groupes d’influence au niveau national travaillent sur une harmonisation des financements, ce qui permettrait peut-être de faire baisser les coûts à la charge de l’assurance de base. L’important, c’est de répartir équitablement les coûts à la charge de la LAMal et de l’Etat, sans distinction entre une prise en charge en stationnaire ou en ambulatoire.

 

Plus précisément?

Dans la situation actuelle, une intervention en ambulatoire est entièrement à la charge de l’assurance de base, alors que l’Etat paie 55% de la facture si cette même intervention est effectuée en stationnaire. Pousser l’ambulatoire revient au final à augmenter les coûts à la charge de l’assurance de base et par conséquent les primes. Ce n’est pas logique!

 

Quid des soins en fin de vie?

Le président de la Société vaudoise de médecine (SVM) a relayé récemment une étude épidémiologique qui fait réfléchir. Entre 0 et 20 ans, les coûts de santé moyens par habitant et par mois sont de 270 francs. Entre 21 et 60 ans, de 550 francs. Entre 61 et 80 ans, de 1385 francs. Et, au-delà, de 3550 francs. D’autres études internationales montrent que la dernière année de vie coûte plus que tous les soins consommés pendant la vie entière. Voilà un débat éminemment sensible mais qui mérite d’être mené, tout en garantissant à chaque patient une fin de vie la plus digne possible.

 

Et de manière plus générale?

Il n’y a pas de miracle: si nous voulons freiner la hausse des coûts de la santé, nous devons, entre autres, accepter d’épurer le catalogue des prestations prises en charge par l’assurance de base. Pour avoir ce débat, nous devons revenir à des relations plus sereines entre les divers acteurs du système de santé et encourager les collaborations et partenariats partout où cela est possible, y compris dans le cadre de partenariats public-privé.

 

Alain Jeannet
Parution : Le Temps, mardi 3 avril 2018

Photo : ©Olivier Vogelsang