25 juillet 2018 - Revue de presse

Migros Magazine : Ces robots qui assistent les chirurgiens_

Pour les assister dans leurs gestes, les chirurgiens font toujours davantage appel aux nouvelles technologies. Alors que le robot Da Vinci est utilisé depuis plus de dix ans en Suisse, le Mazor X, lui, vient de faire son entrée à la Clinique de La Source à Lausanne.

En ce début de matinée de juillet, ils sont une dizaine à s’activer dans la salle d’opération 1 de la Clinique de La Source à Lausanne. Aux côtés de l’équipe traditionnelle composée de deux chirurgiens, d’un anesthésiste, d’infirmières, d’instrumentistes et d’aides de salle s’ajoutent des techniciens. Ceux-ci sont présents pour s’assurer de la bonne marche du robot dernier cri  Mazor X  , que la clinique privée utilise depuis deux mois à peine. «Nous en sommes à notre dix-huitième intervention assistée par ce bras automatisé», se réjouit le neurochirurgien Duccio Boscherini, aux commandes aujourd’hui. C’est sur son initiative que l’établissement s’est intéressé à ce robot conçu en Israël, devenant le premier centre hospitalier européen à en faire l’acquisition.

 

Une réduction des risques

Sur la table d’opération, Michel Addor, de Froideville (VD), est déjà sous anesthésie totale. Âgé de 72 ans, il souffre d’une discopathie. «Le disque séparant deux de ses vertèbres lombaires est abîmé, rétrécissant l’espace à disposition pour les nerfs et causant des douleurs dans les jambes», explique le Dr Duccio Boscherini. Difficile pour ce retraité trois fois grand-père de renoncer à ses balades à pied et à vélo ainsi qu’à ses activités bénévoles – il assure régulièrement le transport d’enfants. Pas réfractaire pour un sou aux nouvelles technologies – «Au contraire, je recherche la modernité», confiera-t-il plus tard – il a donc accepté de s’en remettre au Mazor X.


«Il s’agit de l’indication idéale pour l’utilisation de ce robot, spécialement conçu pour la pose d’implants sur la colonne vertébrale, relève le neurochirurgien. Couplé à l’imagerie 3D, il nous permet de planifier l’opération, en définissant à l’avance la trajectoire idéale des vis que nous allons placer dans le dos du patient. Jusque dans les années 2000, on devait se contenter d’une radiographie en deux dimensions: les erreurs de placement étaient alors plus fréquentes, de l’ordre de 15 à 30%. L’arrivée de l’imagerie tridimensionnelle nous a déjà permis de réduire ces risques à 2-3%. Et avec le Mazor X, une étape de plus est franchie.» Impossible en revanche d’avoir recours au robot  Da Vinci,  utilisée depuis une dizaine d’années en chirurgie viscérale et en urologie. «Cette technologie permet certes de miniaturiser le geste du médecin, mais ce dernier perd la sensibilité tactile et doit s’en remettre à sa vue. Ce qui, dans une zone délicate comme la colonne vertébrale, n’est pas envisageable. Voilà pourquoi nous devons envisager d’autres solutions.»

 

Des gestes très précis

La modélisation 3D de l’anatomie de Michel Addor, réalisée grâce à un scanner dernière génération baptisé  O-arm,  qui permet de limiter le nombre de radiations, est terminée. Pour le Dr Duccio Boscherini, l’heure est donc à la planification. Devant son écran d’ordinateur, il modifie, à l’aide d’une souris, l’emplacement et l’orientation des quatre vis virtuelles qu’il placera bientôt, de façon bien réelle, sur les vertèbres de Michel Addor. «La zone d’intervention ne mesure qu’entre 7 et 8 millimètres. Les vis, elles, ont un diamètre de 6,5 millimètres. Si nous voulons éviter de toucher un muscle ou un nerf, nous devons être extrêmement précis et prévoir un point d’entrée idéal, le moins invasif possible.»

L’opération à proprement parler peut alors commencer. Se basant sur les informations enregistrées sur le logiciel, le bras robotisé du Mazor X, tout de plastique vêtu pour empêcher la contamination de la zone stérile, se déplace lentement, avec un bip-bip ressemblant fort à celui d’une voiture reculant pour se garer, puis s’arrête à quelques centimètres du dos du patient. Sa pince pivote jusqu’à ce que son orientation soit exactement celle prévue par le chirurgien, le guidant ainsi dans son intervention. «Le robot n’est pas là pour nous remplacer, mais pour nous assister, précise Duccio Boscherini. C’est bel et bien moi qui vais poser la vis, mais le Mazor X m’évite de devoir effectuer plusieurs gestes à la fois et maintient une trajectoire idéale.» Pratiquant une petite incision sur le dos de Michel Addor, il enfile alors une mèche à l’intérieur de la zone d’intervention, puis y fait glisser la vis canulée. Et jette un dernier coup d’œil sur l’écran pour s’assurer de son positionnement adéquat avant de la fixer pour de bon. La manœuvre est répétée pour les trois autres vis. «À présent, nous allons vérifier qu’elles sont toutes bien placées», annonce le neurochirurgien. Nouveau scanner, nouvelle modélisation sur l’ordinateur. Tout est en ordre. Et le médecin de se féliciter de la faible perte de sang enregistrée durant l’intervention: moins de 100 millilitres. «C’est l’un des avantages de l’assistance robotique.»

Même si le Mazor X a fait son œuvre et peut désormais être rangé, l’opération n’est pas pour autant terminée. Elle se poursuit de manière plus traditionnelle. «Il s’agit à présent de retirer le matériel discal abîmé et de placer une cale en PEEK (Polyéther­éthercétone), une sorte de plastique, entre les vertèbres du patient afin de décompresser les nerfs. Une tige en titane est également fixée entre les vis. Tout ce dispositif permet d’obtenir une structure très solide.»

Après avoir recousu le patient et près de trois heures après être entré en salle d’opération, le Dr Duccio Boscherini peut enfin se reposer. «On éprouve toujours un peu de stress durant une opération, surtout quand on utilise une nouvelle technologie comme celle-là. Et puis, la dimension humaine entre en jeu: on pense au patient, à l’inquiétude de ses proches. Mais c’est aussi ce qui motive: on n’opère pas uniquement un corps, mais aussi quelqu’un qui a des attentes et qui nous fait confiance.

Quant à Michel Addor, il se réveillera un peu plus tard cet après-midi et sera encouragé très rapidement à faire quelques pas. «Histoire de dédramatiser l’opération et lui montrer qu’il reste mobile. L’intervention avec le Mazor X étant peu invasive, on écarte moins la musculature. Or, c'est ce qui peut provoquer des douleurs aiguës et prolonger la convalescence.» Le retraité devrait ne rester qu’entre trois et six jours à la clinique et espère bien reprendre ses nombreuses activités à la fin de l’été.

«Cela fait quatorze ans que j’opère», lance le Dr Grégory Wirth, médecin adjoint au service d’urologie des Hôpitaux universitaires de Genève. Les gestes de la chirurgie ouverte, il les connaît bien. Mais depuis douze ans déjà, c’est assisté d’un robot que les équipes de son département mènent la plupart de leurs opérations, qu’il s’agisse d’un cancer de la prostate ou d’une ablation de tumeur du rein. «Concrètement, le robot est placé au-dessus du patient pendant que le chirurgien est assis à distance de lui, devant une console qu’il commande avec les mains et les pieds.» On est donc bien loin de l’image plus classique du médecin qui – scalpel à la main et lumière frontale sur la tête – opère par contact direct sur le patient. Pourtant, malgré les apparences, l’opération avec assistance robot n’empêche pas une proximité égale. Bien au contraire.

«Les durées de séjour sont plus courtes et le patient peut être plus vite actif» — Dr Grégory Wirth

«Le robot devient une prolongation de la main du chirurgien, confie celui qui opère ainsi depuis deux ans. Quand je le manipule, je n’ai pas l’impression d’être loin du patient, mais en son sein. J’ai aussi une vision plus précise, je peux voir chaque petit vaisseau. C’est très direct, très intime.» Et les avantages chirurgicaux sont indéniables. «Cette technologie permet une excellente vision tridimensionnelle, un travail plus précis et ergonomique, mais aussi des gestes plus fins.» Pour la personne opérée, cela signifie donc une meilleure convalescence.

«Les durées de séjour sont plus courtes et le patient peut être plus vite actif. Et dans certains cas, un mois après l’opération, on ne voit quasiment plus de cicatrice, c’est fantastique.» Seul hic, le coût souvent décrié de ces robots. «Le prix reste un challenge. Cette technologie coûte très cher pour le moment mais à terme, avec notamment le développement d’autres modèles, nous souhaitons que les coûts baissent.» Autre défi, celui pour la profession: «Elle devient plus sophistiquée et complexe, demande davantage de connaissances et une formation plus spécialisée.»

 

Da Vinci: un robot pour opérer à distance

À l’heure actuelle, le robot le plus utilisé en chirurgie porte le nom de  Da Vinci.  Il permet au chirurgien d’opérer à distance, à partir d’une console placée à côté du patient. Il commande de cette manière les instruments qui sont fixés sur des bras opérateurs. Une double caméra apporte une vision en trois dimensions, magnifiée et agrandie du bloc opératoire.

En Suisse, les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) font partie des établissements qui utilisent le plus fréquemment cette technologie. Depuis 2006, ils ont procédé à 2770 opérations à l’aide du Da Vinci dans les domaines de la chirurgie viscérale (1284), urologique (1208) et gynécologique (278).

 

Des robots toujours plus intelligents

Une étape supplémentaire devrait être franchie ces prochaines années en termes de chirurgie robotique.  Le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM),  en collaboration avec l’Université de Berne et l’Hôpital de l’Île, planche actuellement sur l’élaboration d’un robot de haut précision, doté de capteurs, qui sera en mesure de fournir des informations supplémentaires au chirurgien. Son champ d’action? Les opérations de stabilisation de la colonne vertébrale. «Il s’agit d’une zone sensible. L’insertion manuelle de vis peut causer des dommages sur la moelle épinière, ainsi que sur les nerfs et les vaisseaux sanguins qui l’entourent, explique Damien Ferrario, chef de projet au CSEM. Grâce à ses capteurs, le robot reconnaîtra l’environnement dans lequel il évolue et enverra des signaux au chirurgien, qui agira en conséquence, en arrêtant par exemple son geste s’il se rend compte qu’il est trop proche d’un muscle ou de la moelle épinière. L’opération gagnera donc en précision et en sécurité.»

Pour l’heure, le robot en est encore à sa phase de développement. «Nous entamerons les premiers tests l’an prochain. En attendant, nous travaillons en étroite collaboration avec des chirurgiens de l’Hôpital de l’Île: ce sont eux qui utiliseront cette nouvelle technologie. Nous devons nous assurer qu’ils puissent intégrer facilement de nouveaux gestes à leurs procédures. Si le robot prolonge l’opération d’une heure ou deux, ils ne seront pas intéressés.» En parallèle, le CSEM travaille sur d’autres projets, portant notamment sur le positionnement extrêmement précis des instruments robotisés, dans le cadre par exemple de la restauration de l’ouïe.

 

Quels sont les avantages d’opérer à l’aide d’un robot?

Le bras du Da Vinci ayant une capacité de rotation de 360°, il permet d’effectuer des gestes très précis. D’un point de vue ergonomique, il augmente aussi le confort du chirurgien. Et pour ce dernier, l’apprentissage est beaucoup plus rapide: alors qu’une cinquantaine d’opérations sont nécessaires pour maîtriser un geste chirurgical classique, une vingtaine suffisent avec le robot. En revanche, même si on a souvent entendu dire qu’il permettait de diminuer la durée de l’intervention, ce n’est pas nécessairement vrai: la question est encore débattue et tout dépend du chirurgien. De même que la réussite de l’opération: les éventuelles erreurs que l’on a pu imputer au robot étaient en réalité dues à l’inexpérience du médecin.

 

Le recours à un robot est-il pertinent pour tout type d’opérations?

Non. Il s’agit de l’utiliser à bon escient. Il est par exemple ridicule de vouloir enlever une vésicule biliaire à l’aide d’un robot Da Vinci, on peut tout à fait le faire sans. Par contre, il peut être utile lorsque le chirurgien intervient dans un espace confiné, comme le petit bassin, pour des opérations touchant la prostate, l’utérus ou le rectum. La mobilité du bras est vraiment précieuse dans ces cas-là. L’ORL y a aussi recours pour l’ablation de tumeurs situées à la base de la langue. Par ailleurs, on l’utilise pour poser des bypass gastriques sur des patients obèses, dont le surpoids rendrait autrement l’opération délicate. Quant à savoir s’il est vraiment indispensable, c’est une autre histoire. Aucune étude scientifique n’a démontré de réels avantages quant à l’utilisation du Da Vinci en chirurgie, notamment au niveau de la diminution des complications post-opératoires.

 

Pensez-vous dès lors que nous pourrions nous en passer totalement?

Non. Même si les robots actuels sont encore assez primitifs, il s’agit d’une étape nécessaire vers une génération plus perfectionnée, plus légère, moins encombrante, et qui intégrera l’intelligence artificielle. Nous ne pouvons pas nous permettre de passer à côté.

 

À quoi ressembleront ces robots du futur?

Avec l’intelligence artificielle, le robot sera capable d’apprendre: il acquerra au fil des interventions une meilleure connaissance de la zone à opérer et pourra ainsi fournir des indications précises et utiles au chirurgien. Il sera par exemple en mesure de reconnaître des tissus malades, pour autant qu’il en ait vu avant.

 

Le robot pourra-t-il remplacer un jour le chirurgien?

C’est un vieux fantasme. Même si certains gestes pourront se faire à l’avenir de manière automatique, le contrôle du chirurgien sera toujours indispensable. Et il sera toujours nécessaire que quelqu’un programme le robot. Il faut plutôt considérer ce dernier comme une aide, qui sera certes de plus en plus importante, mais il serait inquiétant qu’au final ce soit une machine qui prenne les décisions. Sans oublier les éventuelles pannes d’ordinateur: on voit ce que cela entraîne dans les aéroports! Les chirurgiens devraient toujours être capables de revenir aux techniques d’antan.

 

 

Rédaction : Tania Araman, Nadia Barth
Parution : Migros Magazine du 19 juillet 2018