1 juin 2018 - Revue de presse

Générations : Obésité : « Les régimes restrictifs sont contre-productifs »_

Reconnue désormais comme maladie, complexe et chronique, l’obésité nécessite une prise en charge individualisée et multidisciplinaire. Explications avec deux spécialistes.

Le Dʳ Vittorio Giusti, directeur médical du Centre médico-chirurgical de l’obésité de la Clinique La Source (CMCO) à Lausanne le souligne d’emblée : « Les régimes restrictifs sont contre-productifs pour traiter l’obésité à long terme. Car c’est une maladie chronique, multifactorielle et psychosomatique. » Sa prise en charge doit donc être multidisciplinaire et personnalisée, comme le propose, depuis février dernier, l’équipe du CMCO aux personnes obèses ou en surpoids. Une équipe de dix personnes constituée par trois médecins spécialistes en endocrinologie (Dʳ Giusti), en chirurgie et en psychiatrie ainsi que deux psychologues-psychothérapeutes, deux diététiciennes, trois physiothérapeutes de la Clinique et une secrétaire médicale.

Outre des consultations individuelles, près de 70 % du travail avec les patients se fait en groupes. « On traite des thématiques, tels la diététique, l’éducation alimentaire ou l’image corporelle ou, encore, la gestion des émotions qui régulent et induisent souvent la prise de nourriture », explique Stéphanie Haymoz, psychologue-psychothérapeute. Des dégustations permettent de retrouver de façon ludique des sensations perdues : manger en  regardant, en touchant, en sentant et en dégustant les aliments, leur texture dans leur bouche, leur goût, afin de mobiliser tous les sens et apprendre à manger en pleine conscience.
Dr Giusti
Dr Vitorrio Giusti, Directeur médical du Centre médico-chirurgical de l'obésité de la Clinique de La Source.
 

Outre des consultations individuelles, près de 70 % du travail avec les patients se fait en groupes. « On traite des thématiques, tels la diététique, l’éducation alimentaire ou l’image corporelle ou, encore, la gestion des émotions qui régulent et induisent souvent la prise de nourriture », explique Stéphanie Haymoz, psychologue-psychothérapeute. Des dégustations permettent de retrouver de façon ludique des sensations perdues : manger en  regardant, en touchant, en sentant et en dégustant les aliments, leur texture dans leur bouche, leur goût, afin de mobiliser tous les sens et apprendre à manger en pleine conscience.

« Les patients s’enrichissent mutuellement en partageant leur vécu. Si un conseil a fonctionné pour l’un d’entre eux, les autres le suivront mieux », note la spécialiste. Le CMCO organise encore des groupes de parole pour les patients ayant subi une chirurgie bariatrique (NDLR bypass), et prépare ceux qui souhaitent l’intervention, si elle est indiquée, en les informant de ses implications et ses contraintes à vie.

 

RISQUES GRAVES POUR LA SANTÉ

Rappelons que l’obésité est définie comme une accumulation anormale ou excessive de graisse corporelle constituant un risque pour la santé. Dont notamment de souffrir de maladies cardiovasculaires, d’hypertension et de diabète de type 2 ainsi que de cancers hormonodépendants (du sein, de l’endomètre, etc.). A quoi s’ajoute aussi l’exclusion sociale vécue par les patients, souvent encore considérés responsables de leur maladie. Pourtant, ses causes et ses facteurs de risque sont principalement héréditaires, psychologiques (dépression, traumatismes, anxiété, etc.), alimentaires, sociaux et environnementaux : « L’équilibre alimentaire prévalant, il y a 50 ans, n’existe plus. L’alimentation est plus pauvre en fibres, lesquelles permettent d’être rassasié, trop riche en graisses et en sucres, déplore le Dʳ Giusti. De plus, à l’ère du tout automatique, des télécommandes et de la possibilité de faire ses achats en ligne, la sédentarité est devenue excessive. »

Autre facteur de risque important : le stress chronique. Si un stress — en soi une réaction saine de l’organisme pour réagir en cas de danger — se prolonge au-delà de dix à trente minutes, l’organisme sécrétera non plus de l’adrénaline permettant de réagir face au danger, mais du cortisol. Qui incite l’organisme à stocker des réserves. Une fois tout danger écarté, le taux de cortisol revient à la normale. Mais, en cas de stress répété, ce taux n’arrive plus à revenir à la normale, favorisant la sensation de faim et la prise de poids. Pour connaître l’origine du problème de surpoids, les spécialistes du CMCO vont commencer par un bilan médical complet, et établir le profil alimentaire, physique, psychologique et métabolique du patient. L’analyse de l’évolution de son poids est un premier indicateur : « Une augmentation progressive et linéaire, par exemple de 2 à 3 kilos par an, plaide en faveur d’une origine à forte composante génétique », explique le Dʳ Giusti. Si la prise de poids a débuté à un moment précis avec, par exemple, 10 kilos pris à l’âge de 25 ans, puis 10 autres kilos à 30 ans, l’obésité peut avoir une origine psychologique (stress, traumatisme, etc.) ou un changement d’hygiène de vie (moins d’activité physique, changements d’alimentation), par exemple.


ACTIVITÉ PHYSIQUE ADAPTÉE

Des tests du métabolisme, menés dans une salle spéciale, servent à évaluer à quel taux d’effort l’organisme du patient commence à brûler la graisse — essentiel pour lui proposer une activité physique adaptée à perdre du poids.

La remise en mouvement est souvent précédée de séances de physio souvent précédée de séances de physiothérapie, pour retrouver la musculature nécessaire à l’activité et, ainsi, éviter de décourager le patient. L’activité proposée le sera d’ailleurs aussi en fonction de ses objectifs : réduire les risques pour sa santé, préserver ses muscles, stabiliser son poids ou en perdre.

Pour mesurer les effets de la remise en mouvement, une balance spéciale permet de mesurer précisément la part de graisse et de muscles dans le poids du patient. Ce qui lui permettra de voir le fruit de ses efforts, sachant que, au début, le poids total ne varie pas autant qu’espéré, puisqu’il perdra de la graisse, tout en gagnant du muscle.

Pousser d’emblée à l’activité physique est parfois contre-indiqué : « Pour des  patients souffrant d’obésité très jeunes, c’est souvent lié à un échec, tels les cours de gymnastique à l’école, où ils étaient déjà stigmatisés par leurs camarades. Ils ne veulent donc plus bouger, et il faut trouver une autre entrée pour leur permettre de perdre du poids, par exemple celle des habitudes alimentaires, souligne Stéphanie Haymoz. Car, si on force, on renforce leur blocage. »

« De même, si un patient est fermé à entreprendre une démarche psychologique, on commencera plutôt par l’analyse de ses troubles du comportement alimentaire, en cherchant avec lui à quels moments il mange excessivement », note la psychologue.

Si le patient l’accepte, l’accompagnement psychologique pourra se faire par une psychothérapie, notamment de type thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Elle lui servira à comprendre, puis à traiter ses troubles du comportement alimentaire et les éventuelles difficultés et troubles psychiques en lien avec la problématique pondérale. L’objectif étant de maintenir la perte de poids durablement, afin de lui permettre la meilleure qualité de vie possible en réduisant les risques de maladies associées.

 


LE POIDS, UNE PROTECTION

Le surpoids peut par ailleurs constituer une véritable protection physique pour certains patients, ayant vécu des traumatismes (violence physique, sexuelle, par exemple) ou pour d’autres raisons psychologiques ou d’ordre socioculturel. Ce qui explique que certains patients ayant subi une chirurgie reprennent du poids après une première perte importante. « J’ai eu une patiente qui, après un bypass, a passé rapidement de 150 à 102 kilos pour, ensuite, stagner à ce poids, raconte le Dr Giusti. Avec la psychologue, nous avons découvert que cette femme s’était promis que, lorsqu’elle pèserait 99 kilos, elle quitterait son mari. Mais elle avait encore trop peur de divorcer. » Et le médecin de se souvenir d’une autre patiente vivant dans un petit village grec, ayant subi une chirurgie bariatrique : « Son mari a convoqué la famille de sa femme pour nous demander d’enlever l’anneau gastrique, car, dans son village, l’obésité était considérée comme un signe de bienêtre ... »

 

ELLEN WEIGAND

Parution : Générations, juin 2018

 

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