30 juin 2021 - Revue de presse

Le Temps: Libérer les nerfs de leurs contraintes pour tenir tête aux migraines_

Lorsque les traitements contre certaines migraines ne suffisent pas, une intervention chirurgicale de décompression des nerfs est possible. Cette approche fait l’objet de résultats convaincants et évolue vers le minimalement invasif.

Les migraines sont reconnues comme une des principales causes d’invalidité au monde et concernent 12% de la population. Leur origine reste largement incomprise et les traitements disponibles agissent uniquement sur les symptômes: les maux de tête. Douloureuses, subites, et longues, les crises de migraines entravent la qualité de vie des personnes, particulièrement celles réfractaires aux traitements. Une approche chirurgicale de décompression des nerfs offre une solution à ces dernières. Encore peu connue et reconnue en Suisse, elle fait l’objet d’une avancée minimalement invasive pour traiter la névralgie d’Arnold, une migraine aux intensités particulièrement insoutenables. Menée par une équipe de chirurgiens lausannoise de la Clinique de La Source, la nouvelle approche fait l’objet d’une étude à lire dans la revue Plastic and Reconstructive Surgery. Pratiquée avec ou sans narcose, elle obtient des résultats encourageants qui pourraient contribuer à sa démocratisation en Suisse.


Au-delà du simple mal de tête

Les migraines sont des troubles complexes caractérisés par des épisodes de maux de tête, généralement associés à des nausées et à une sensibilité accrue à la lumière et au bruit. Les migraines sont la deuxième cause d’invalidité dans le monde selon l’OMS. Obligés de rester allongés dans le noir pendant plusieurs jours d’affilée et parfois à des fréquences ne leur laissant que très peu de répit, les patients voient leur qualité de vie et leur santé mentale hautement dégradée. Les migraines sont très répandues et touchent majoritairement les femmes.

Pourtant, la recherche piétine et leurs causes restent mal comprises. Les scientifiques postulent qu’elles sont principalement dues à des facteurs génétiques. Ces derniers provoqueraient une déficience des cellules neurales, les cellules gliales et les neurones. S’en suivrait une série de changements intracrâniens et extracrâniens empêchant le traitement adéquat de la douleur par le système nerveux.

«Sans connaissance des mécanismes pathophysiologiques précis, la mise en place de traitements directs est impossible», indique Giorgio Pietramaggiori, chirurgien plasticien spécialisé dans les nerfs périphériques rattaché à la Clinique de La Source et coauteur de l’étude. En d’autres termes, la plupart des migraines sont aujourd’hui incurables et les traitements se limitent à agir sur la douleur.

 

Le cas d’Arnold

Parmi les 180 types de migraines répertoriées, la névralgie d’Arnold se positionne tristement parmi les plus insoutenables. Elle se caractérise par des crises chroniques de douleur au niveau de la nuque qui s’irradie progressivement à travers la tête jusque derrière les yeux et persiste plusieurs jours, voire des semaines. Le nerf responsable de cette névralgie s’appelle le nerf d’Arnold, ou nerf occipital. Il innerve le cuir chevelu et assure le relais des informations nécessaires au mouvement de la tête et à l’expression des sensations, y compris la douleur, au niveau du crâne.

Analgésiques, anti-inflammatoires, relaxants musculaires ou encore anticonvulsifs font partie de l’arsenal médicamenteux contre cette névralgie. En outre, des approches physiothérapeuthiques, d’hypnose ou d’acuponcture sont reconnues pour apaiser les patients. Si les traitements ne fonctionnent pas, les médecins interfèrent avec l’influx nerveux en infiltrant des composés inhibiteurs de l’activité neuronale de manière percutanée. Dans ce contexte, des injections de toxine botulique, communément appelée botox, peuvent être utilisées pour traiter l’inflammation et la douleur.

 

Une solution issue de la chirurgie plastique

Le botox inhibe les neurones moteurs et provoque une paralysie des muscles. Injecté localement et à faible dose, il est très prisé par les plasticiens pour atténuer temporairement les rides du visage. Son utilisation est justement à l’origine de la technique de chirurgie de la migraine concernée par l’étude vaudoise. «A force d’injecter du botox pour réduire les rides des visages, des chirurgiens plasticiens se sont aperçus qu’une corrélation existait avec l’amélioration de certaines migraines faciales», indique Saja Scherer, également chirurgienne plasticienne spécialisée dans les nerfs périphériques rattachée à la Clinique de La Source et coauteure de l’étude. Ainsi, dans les années 2000, des chirurgiens plasticiens américains ont mis au point une technique chirurgicale pour traiter les migraines. Encore peu connue en Suisse, elle offre une solution efficace, voire salvatrice, pour les personnes réfractaires aux traitements usuels.

Avec une procédure dite de décompression semblable à celle utilisée pour traiter chirurgicalement le nerf médian à travers le canal carpien responsable du syndrome du même nom, une partie des tissus proche du nerf, généralement un ligament, est dégagée pour lui laisser plus de place. «Les nerfs passent souvent près des muscles, des ligaments ou des tendons, ce qui peut les compresser et contribuer à les irriter jusqu’à ce qu’ils ne remplissent plus correctement leur rôle de transmission de l’information sensorielle. Nous agissons donc mécaniquement pour les dégager», précise-t-elle.

 

 
Clinique de La Source Dre Scherer Saja
Dre Saja Scherer, Spécialiste en chirurgie des nerfs périphériques à la Clinique de La Source

 

 
La Clinique de La Source Dr Pietramaggiori Giorgio
Dr Giorgio Pietramaggiori, Spécialiste en chirurgie des nerfs périphériques à la Clinique de La Source
 

Préserver les nerfs et les muscles

L’équipe de la Clinique de La Source a ainsi mis en place une approche de décompression du nerf occipital moins invasive que les approches précédentes. Avec une seule incision à l’arrière du crâne, ils accèdent aux points de compression et dégagent le passage du nerf. L’approche ne nécessite pas obligatoirement d’anesthésie générale, épargne les nerfs et les muscles et montre une amélioration convaincante de l’état des patients. Saja Scherer précise que «le nombre de jours de maux de tête, l’intensité de la douleur et l’utilisation de médicaments sont abaissés chez plus de 90% des 87 patients de l’étude». Plus impressionnant encore, selon les résultats publiés, 45% des patients montrent une rémission complète après un suivi minimum de 12 mois.

Mais attention, malgré ces résultats porteurs d’espoir pour les patients, les deux auteurs de l’étude précisent que ce traitement chirurgical, dans certains cas, ne remplace pas les traitements usuels. «Les traitements médicamenteux, s’ils sont encore nécessaires après la chirurgie de décompression, deviennent beaucoup plus efficaces.» De plus, comme chaque migraine, chaque patient et chaque nerf diffèrent, la technique est appliquée uniquement si le patient parvient à définir précisément le ou les points d’origine de la douleur. «Nous les aidons à les identifier et effectuons des tests par infiltration percutanée. Si les résultats montrent une réduction de la douleur temporaire, alors seulement nous proposons une intervention», poursuit Giorgio Pietramaggiori.

 

Vers une démocratisation de la chirurgie de la migraine?

Cette approche, bien que répandue outre-Atlantique depuis une vingtaine d’années, est encore peu présente en Suisse. «La Société suisse des céphalées ne recommande pas la chirurgie des migraines. Du au fait qu’elle provient de la chirurgie plastique plutôt que de la neurologie, l’approche est encore passablement stigmatisée. Nous avons bon espoir que, avec cette étude montrant qu’aucune lésion n’est faite sur les nerfs et sur les muscles, l’approche chirurgicale minimalement invasive sera désormais mieux accueillie et plus accessible aux patients», concluent-ils.

 

Yann Bernardinelli
Parution : Le Temps, le 30 juin 2021