8 septembre 2020 - Revue de presse

La Liberté: Un coup de bistouri dans la douleur_

Y'a comme un défaut de fabrication, comme un vice d'usine: «Sur le corps humain, il y a de chaque côté 52 points où des nerfs peuvent se coincer», annonce Giorgio Pietramaggiori, spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique. Au total donc, si le calcul est bon, 104 points comme 104 goulets d'étranglement, qui obligent les nerfs à se trouver un chemin vers la peau. Saja Scherer, elle aussi spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, se saisit d'une tête en modèle anatomique. Elle pointe un nerf qui court le long de la colonne vertébrale: «Ce nerf doit passer entre deux vertèbres cervicales, il doit se glisser entre deux muscles puissants, passer sous les fascias, qui sont des tissus extrêmement résistants, pour enfin innerver la peau du crâne...» Or, il arrive que cette belle et ingénieuse câblerie se grippe.

C'est là que Saja Scherer et Giorgio Pietramaggiori, spécialistes de la chirurgie des nerfs périphériques à la clinique de La Source, à Lausanne, interviennent: «Quand, disent-ils, quelqu'un souffre de maux de tête à répétition, ou de douleurs articulaires après une opération, les recherches ont montré qu'une des raisons de ces souffrances, cela peut être un dysfonctionnement du système nerveux périphérique: ces nerfs peuvent être comprimés. Le simple fait de relâcher la compression du nerf, par une intervention chirurgicale légère, peut amener un soulagement.» D'abord, il faut identifier par ultrasons le chemin du nerf, ensuite il faut vérifier par un anesthésiant que ce nerf est bel et bien responsable de la douleur et enfin, il faut intervenir chirurgicalement.

Dre Saja Scherer et Dr Giorigio Pietramaggiori
Dr Giorgio Pietramaggiori et Dre Saja Scherer, Spécialistes en chirurgie des nerfs périphériques à la Clinique de La Source

 

De la tête aux pieds

Formés aux Etats-Unis, pionniers en Suisse et en Europe de cette technique chirurgicale, Saja Scherer et Giorgio Pietramaggiori ont été approchés par les Editions Springer pour publier un livre sur cette chirurgie du soulagement. Le livre, intitulé «Chirurgie mini-invasive pour le traitement de la douleur chronique»* (en anglais), est en attente d'impression: «Nous avons traité les situations les plus classiques de compressions nerveuses, de la tête aux pieds», disent les auteurs.

Ces situations classiques vont de la migraine aux complications postopératoires du genou. Le cas de la migraine est connu: «Certains maux de tête sont causés par la compression d'un nerf dans le tissu musculaire ou tendineux», rappelle Saja Scherer. Parfois, les chirurgiens agissent sur le nerf grand occipital ou sur une branche du nerf trijumeau. Mais pourquoi, après des années de bons et silencieux services, les nerfs se mettent-ils à coincer? «Avec l'âge, précise Saja Scherer, toutes les structures anatomiques perdent en souplesse.» Ce qui coulissait librement, dans le fluide de la jeunesse, se prend à grincer.

*Giorgio Pietramaggiori et Saja Scherer, Minimally Invasive Surgery for Chronic Pain Management, Springer, à paraître.

 

3,5 à 4,5 cm d'incision

Un cas typique de ces conflits anatomiques est la névralgie d'Arnold, l'un des innombrables maux de tête qui affligent l'être humain et font de sa vie un enfer. «Les patients qui souffrent d'une névralgie d'Arnold, disent que leurs maux de tête sont toujours déclenchés au même endroit et ils montrent un point très précis, quelque part en dessus de la nuque», indique Saja Scherer. «Par définition, poursuit Giorgio Pietramaggiori, la névralgie d'Arnold est une irritation du nerf d'Arnold, le nerf grand occipital, qui passe sur l'arrière de la tête.» Les chirurgiens accèdent au nerf par une incision de 3,5 à 4,5 cm le long de la ligne nucale.

Il y a donc l'anatomie humaine, responsable d'une partie des maux, et il y a les traumatismes: «20% des patients qui viennent nous trouver ont subi un accident ou se plaignent des séquelles d'une opération», relève Saja Scherer. Parmi les traumatismes, il y a le fameux coup du lapin: le méticuleux assemblage de la nuque est bousculé par l'étirement consécutif au choc. Il y a les fractures. Il y a les opérations multiples: pose d'une prothèse de la hanche, d'une prothèse du genou, résorption d'une hernie inguinale. «On sait que 10% des personnes opérées d'une hernie inguinale vont développer des douleurs postopératoires. En cas de pose d'une prothèse de genou, on estime qu'entre 3 et 15% des sujets présentent des douleurs névralgiques.» Giorgio Pietramaggiori précise: «Très souvent, après la pose d'une prothèse, l'articulation est fonctionnelle, elle marche bien sur le plan orthopédique, mais le patient se plaint de douleurs - un peu comme des douleurs fantômes dans son articulation, parce que les nerfs sont enflammés.»

 

Le nerf dans le muscle

«Les gens qui ont été opérés du genou ou de la hanche, raconte Saja Scherer, vous diront qu'ici, à un endroit de leur corps, ils n'ont plus de sensibilité. Dans 95% des cas, cette perte de sensibilité ne cause aucun inconvénient. Les 5% restants souffrent d'une hypersensibilité: la nuit, ils ne supportent plus le poids d'une couverture sur la peau, par exemple. Là, nous sommes face à un problème de nerf. En tant que chirurgien, nous pouvons, par exemple, glisser un nerf lésé dans le muscle.» 

Soyons clairs, le bistouri ne fait pas de miracle: «Je dis toujours que nous ne soignons pas la migraine ou la névralgie d'Arnold, mais nous traitons les douleurs surajoutées», insiste Giorgio Pietramaggiori. «Dans 30% des cas de céphalées, énumère Saja Scherer, les douleurs disparaissent complètement: le patient peut se passer de médicaments. Ensuite, il y a 55% des personnes opérées qui disent se sentir nettement mieux: la fréquence des crises a diminué de moitié. Enfin, il y a 15% des gens qui ne répondent pas à l'opération. » Le bistouri ne guérit pas tous les maux, mais c'est une arme de plus dans l'arsenal thérapeutique. La littérature a établi que 70% des interventions sur les nerfs périphériques se traduisent par une diminution de la douleur. » 

 

Témoignage «J'attendais un miracle, il est arrivé»

Après douze ans de souffrance, Madeleine Renevey, de Chénens, s'est fait opérer et elle parle d'un miracle. 

Le 23 octobre 2008, Madeleine Renevey, alors âgée de 58 ans, était la passagère d'une voiture qui s'est fait emboutir par la droite: il faut la désincarcérer avant de l'acheminer à l'HFR (Hôpital fribourgeois) où l'on constate l'ampleur des dégâts. «J'avais une double fracture du fémur et le plateau tibial qui avait éclaté. J'avais toute la jambe droite en miette.» Les médecins de l'HFR - dont elle salue le travail - se battent pour sauver cette jambe, qui présente, outre les fractures, des signes de nécrose.

La jambe de Madeleine Renevey est sauvée, mais elle est en triste état: «Je ne pouvais pas me tenir debout plus d'une demi-heure, je marchais avec des cannes et je me déplaçais en chaise roulante.» En dehors de cette infirmité, il y a des douleurs qu'elle ne peut pas décrire: «Je ne trouve pas les mots, je ne sais pas comment vous faire comprendre, mais c'étaient des douleurs inimaginables», dit-elle. Elle ajoute: «Quand les médecins me disaient: chiffrez votre douleur de 1 à 10; je répondais: 20!» 

Elle dit aussi qu'elle a tout essayé, qu'elle a fait le tour des médecins: «En 2016, on m'a posé un neurostimulateur, qui est supposé calmer les douleurs. J'ai consulté un acupuncteur. J'ai avalé toutes sortes de médicaments, jusqu'aux opiacés: je prenais deux fois  40 mg de Targin par jour, sans que cela soit vraiment efficace.» Au mois de novembre 2019, le médecin traitant de Madeleine, un antalgiste, l'oriente vers le Dr Saja Scherer, spécialiste de la chirurgie des nerfs périphériques à Lausanne: «La doctoresse Scherer m'a dit que lorsque les douleurs post-traumatiques durent aussi longtemps, c'est souvent un problème de nerfs périphériques.»

Madeleine Renevey sera opérée trois fois: en janvier 2020, en mai et la dernière fois, le 24 août. «Je ne sais pas tout ce que les chirurgiens ont fait, mais ils ont travaillé sur les cicatrices du genou et de la cheville. Ils ont déplacé des nerfs, qui avaient été comprimés lors des greffes de muscle que j'avais subies.» 

Quelques jours seulement après la troisième opération, Madéleine Renevey ne peut pas se prononcer sur le succès définitif de cette chirurgie, mais elle sait que sa vie a changé: «Les douleurs ne sont plus comparables, assure-t-elle: je ne prends presque plus d'opiacés, je suis passée de 80 mg par jour à 10 mg. Je ne regrette qu'une chose, avoir dû attendre si longtemps pour connaître cette chirurgie des nerfs périphériques. Souvent, je me disais qu'il faudrait un petit miracle pour que j'arrête de souffrir, et j'ai l'impression que ce miracle est arrivé! Je suis contente de témoigner, parce que je voudrais que d'autres personnes puissent profiter de ces techniques chirurgicales.» Madeleine Renevey espère encore soigner sa fesse droite, qui lui fait mal depuis douze ans. «J'aimerais que quelqu'un s'occupe enfin de ma fesse!», lance-t-elle, dans un éclat de rire. Un rire retrouvé.»

 

Jean Ammann

Parution: La Liberté, le 04 septembre 2020