Regards croisés sur le cancer de la prostate
La prise en charge du cancer de la prostate est en pleine évolution. Fini le temps du traitement unique, l’utilisation combinée de plusieurs solutions devient progressivement la norme des centres spécialisés.
En Suisse, l’Office fédéral de la santé dénombre plus de 6000 cas de cancer de la prostate par année. A lui seul, ce cancer représente près d’un tiers de tous les cancers diagnostiqués chez des personnes possédant une prostate. «Cette maladie se développe le plus souvent après cinquante ans, d’où l’importance de faire des dépistages réguliers à partir de cet âge», précise Pierre Bohanes, oncologue au Centre de la prostate La Source.
Historiquement, les choix pour traiter le cancer de la prostate étaient très restreints. L’intervention la plus courante consistait à retirer la prostate grâce à une intervention chirurgicale. En présence de contre-indications pour la chirurgie, on procédait plutôt à une radiothérapie. Des discussions avec la personne concernée ou avec d’autres spécialistes n’étaient donc pas de mise.
Un changement de paradigme
Depuis quelques années cependant, plusieurs changements ont bouleversé le domaine. Premièrement, de nouveaux traitements ont été développés, comme l’hormonothérapie de nouvelle génération qui, dans le cas du cancer de la prostate, permet de réduire les taux de testostérone dans le corps et de bloquer son action sur les cellules cancéreuses, ce qui ralentit l’expansion de la tumeur. La médecine nucléaire a, elle aussi, fait d’énormes progrès dans les cancers avancés. Elle permet aujourd’hui de créer des molécules radioactives qui, une fois dans le corps, vont venir s’attacher directement aux cellules cancéreuses métastatiques de la prostate afin de les détruire.
Ces nouveaux traitements offrent non seulement d’excellents résultats cliniques, mais ils se prêtent aussi volontiers à l’intensification multimodale, soit la possibilité de combiner plusieurs traitements pour en améliorer leur efficacité. Par exemple, l’utilisation de l’hormonothérapie de nouvelle génération avec la radiothérapie ou la chimiothérapie, voire les deux.
Ensuite, tous les cancers de la prostate ne sont plus systématiquement traités. «En effet, dans environ 20% des cas, la tumeur n’est pas agressive, car encore de petite taille. Comme ce type de cancer évolue généralement lentement et n’est pas associé à des symptômes particuliers, un suivi continu plutôt qu’un traitement spécifique peut parfois être judicieux afin d’éviter le plus longtemps un traitement et ses effets secondaires non négligeables comme l’incontinence et les troubles érectiles» explique Pierre Bohanes.
Les médecins possèdent donc à ce jour plusieurs axes d’action qui permettent une prise en charge adaptée à chaque personne.
Une nouvelle approche pluridisciplinaire et personnalisée
La diversification des choix de traitement a aussi mené à la création de tumor boards dans les centres spécialisés, comme à la Clinique de La Source. Ces réunions que l’on peut traduire par «conseils sur les tumeurs» rassemblent les spécialistes. On y trouve des urologues spécialisés en chirurgie, des oncologues, des radiothérapeutes ou encore des nucléaristes. Une place est aussi prévue pour la ou le généraliste pour sa connaissance approfondie de la personne concernée. Ces réunions mènent à une prise de décision collégiale articulée autour du patient ou de la patiente: chaque spécialiste donne son opinion sur le cas présenté afin de définir la ou les meilleures options de traitement possibles.
Lors de ces réunions, l’accent est mis sur plusieurs facteurs: l’agressivité et la taille de la tumeur, la présence de métastases, ou encore l’âge de la personne malade, son état de santé général et son terrain génétique. Non seulement ces facteurs aident les médecins à décider si une intervention est nécessaire ou non, mais ils permettent également de trancher sur le type de traitement à utiliser. En effet, les recommandations internationales utilisent l’ensemble de ces facteurs comme critère décisionnel pour l’utilisation de l’intensification multimodale. A Pierre Bohanes d’expliquer: «Par exemple, en cas de détection de métastases, nous pourrons ajouter une chimiothérapie conjuguée à des traitements visant spécifiquement la prostate, afin de s’attaquer au cancer de manière globale.»
«Cependant, nous prenons aussi en compte l’avis de la personne malade», précise Pierre Bohanes avant de poursuivre, «celle-ci peut exprimer un souhait sur le traitement qu’elle aimerait recevoir, ou même celui qu’elle aimerait éviter». La collecte de toutes ces informations permet de définir un traitement efficace qui correspondra au mieux à la volonté de la personne malade, ainsi qu’à sa pathologie.
Et ensuite?
Malheureusement, aussi personnalisées et précises que soient les méthodes proposées, des effets secondaires apparaissent souvent après la période de traitement.
Pour comprendre, revenons un instant sur la prostate. C’est une glande formant un anneau autour de l’urètre juste en dessous de la vessie et devant le rectum. Elle produit un liquide qui représente environ 30% du sperme et qui contient des nutriments pour les spermatozoïdes. La prostate est donc essentielle pour le système reproducteur.
Les effets secondaires des traitements du cancer de la prostate peuvent inclure généralement une incontinence urinaire, des troubles de l’érection, voire l’infertilité. Ces symptômes affectent souvent profondément les personnes traitées et leur entourage et ne sont pas à prendre à la légère.
Pierre Bohanes explique: «A la Clinique de La Source, la prise en charge ne s’arrête pas à la fin du traitement. Grâce au programme «La Source à domicile», le suivi continue même après l’hospitalisation afin de faciliter le retour à la vie normale et de gérer l’apparition de complications. » Ce suivi peut aussi inclure un accompagnement par des infirmières et infirmiers spécialisés en oncologie, ou des séances avec des sexologues pour favoriser une bonne communication dans les couples en cas de dysfonctions érectiles à la suite du traitement.
Le maître mot: dépistage
Le cancer de la prostate est une maladie lors de laquelle des cellules prostatiques commencent à proliférer de manière incontrôlée et engendrent la formation d’une tumeur. «Du fait de son développement généralement lent, une grande partie des cas de cancer de la prostate sont diagnostiqués lors de contrôles de routine, sans présence de symptômes annonciateurs», ajoute Pierre Bohanes. Malgré tout, plusieurs symptômes liés au cancer de la prostate peuvent apparaître lorsque le stade du cancer est avancé. Ces symptômes incluent la présence de sang dans les urines ou dans le sperme, des difficultés à uriner et des douleurs persistantes dans la région pubienne et le bas du dos. Si ces symptômes apparaissent et persistent, il faut immédiatement aller voir un ou une médecin de premiers recours qui s’adressera, au besoin, à un centre de compétences, par exemple au Centre de la prostate La Source.
On l’a vu, le cancer de la prostate est une maladie qui se développe généralement sans engendrer de symptômes annonciateurs. Il est donc important de parler de dépistage avec votre médecin de famille sans attendre d’avoir des symptômes, et ce dès 50 ans. Il est d’autant plus important de se faire dépister si des cas de cancer de la prostate avant 65 ans sont connus dans votre famille proche, ainsi que si vous êtes de descendance africaine. Malheureusement, ces deux facteurs augmentent beaucoup les risques de développer un cancer de la prostate. Les dépistages sont très simples et n’incluent en principe qu’une prise de sang pour quantifier des protéines produites par la prostate – les PSA – qui peuvent signifier la présence d’un cancer si elles apparaissent en trop grande quantité. Un toucher rectal est aussi recommandé pour évaluer la taille et l’aspect de la prostate. Une IRM de la prostate peut alors compléter un dépistage positif. Pierre Bohanes précise qu’en raison d’une interprétation délicate de cet examen, «le Centre de la prostate La Source pratique une double lecture par des radiologues spécialisés afin d’infirmer ou d’affirmer l’interprétation de l’imagerie. Si l’IRM suggère un cancer de la prostate, des biopsies guidées radiologiquement sont effectuées et, le cas échéant, une approche thérapeutique adéquate est proposée».
Yann Bernardinelli, Fabien Carruzzo
Parution: Le Temps, vendredi 28 juin 2024